Avec Jean-Luc
Primon, docteur en sociologie, maître de conférences au département de
Sociologie-Ethnologie de l’université de Nice-Sophia Antipolis ; atelier
animé par Maryse Tripier, professeure émérite de sociologie (université Paris 7
-Denis Diderot), membre du bureau de la commission Lutte contre le racisme, pour
l’égalité du PCF.
Jean-Luc
Primon concentre ses recherches sur la scolarisation et l’accès au monde du
travail des « enfants d’immigrés ». Parmi ses publications
récentes :
« Les
enfants d’immigrés et l’école : un échec scolaire à relativiser », dans Migrations
et mutations de la société française (La découverte, 2014) ; Une école discriminante ?
(Pleins droits, n°103, 2014) ; présentation du livre Pourquoi moi ?
L’expérience des discriminations de François Dubet, Olivier
Cousin, Eric Macé, Sandrine Rui (Seuil, 2013) dans la Revue européenne des
sciences sociales (2014/1) ; avec Yaël Brinbaum : Parcours scolaires et
sentiment d’injustice et de discrimination chez les descendants d’immigrés (Economie
et statistiques , 2013).
Il collabore actuellement à l’exploitation de l’enquête statistique Trajectoires et Origines (TeO) de l’Ined
et l’Insee, à laquelle il fait
référence dans son exposé (2008 ; une nouvelle enquête est programmée pour
publication en 2018).
Synthèse de mes notes :
3 idées en introduction :
-
En France, les discriminations sont
traitées, avec modération, à part du racisme, comme des dysfonctionnements d’un système dont
la norme serait l’égalité, alors que les discriminations sont structurelles, et
que le racisme, mouvant et changeant dans ses formes, n’est pas seulement une
idéologie, mais avant tout un rapport social historique de domination.
-
Les discriminations produisent des
inégalités matérielles, socio-économiques ; lutter pour l’égalité sociale
nécessite de lutter contre les discriminations, le racisme
-
Toutes les discriminations ne sont pas
intentionnelles, on peut discriminer sans se référer consciemment à des
stéréotypes racistes.
Les études objectives des
discriminations (testing ; analyses statistiques ; modèles
économétriques) montrent les discriminations dans l’accès à l’emploi au détriment
des descendants d’immigrés (surchômage, précarité…). C’est une discrimination
sélective (origine européenne/africaine) et genrée (sexisme et racisme
interagissent). Il y a segmentation de l’intégration, des destinées, des
trajectoires, selon les origines migratoires, au détriment de l’immigration
post-coloniale et ses descendants pour lesquels le « creuset
français » ne fonctionne plus, contrairement aux originaires de pays
européens.
Les originaires des TOM (déplacement en métropole organisé par l’Etat) et
leurs enfants, sont en position intermédiaire quant aux discriminations et à la
mobilité sociale ; ils sont sur- représentés dans des emplois non ou peu
qualifiés de la fonction publique, auxquels les immigrés étrangers n’ont pas
accès.
Les enquêtes de terrain qui permettent de comprendre le rapport subjectif aux discriminations
vécues par ceux qui en sont victimes sont rares. L’enquête TeO repose sur un
échantillonnage représentatif de 22000 personnes de 18 à 60 ans, immigrées,
descendantes d’immigrés, originaires et descendantes d’originaire des DOM vivant
en métropole. 75 % déclarent vivre le racisme au quotidien
(espace public, école…), ce qui constitue une expérience sociale structurante.
Les originaires des DOM sont « altérisés » par un déni de leur
« francité » de la part de la « population majoritaire ».
Ce sont des causes subjectives de la crise de la référence à la République,
perçue comme inégalitaire. Les entretiens montrent des attitudes de déni (pas
moi, mais d’autres…) ; de « faire avec », de composition car on
sait que « ça peut nous arriver » d’être discriminés (par exemple
certains choix de l’intérim, pour se faire un CV) ; et, très minoritaires,
des postures critiques, de contestation, parfois d’hostilité en retour à
l’égard de la population majoritaire (ce que certains, surtout à droite,
dénoncent comme « racisme…anti-blancs »).
Jean-Luc Primon, en fin d’exposé, met en débat des questions soulevées dans
la contribution de la commission Lutte contre le racisme, pour l’égalité du
PCF, L’antiracisme,
un défi à relever ! Celui de l’égalité et de l’unité du peuple ! - sur lesquelles il donne son opinion.
Faut-il parler de racisme d’Etat en
France ? Il est aussi réservé que le texte de la
commission. Contrairement par exemple au régime d’apartheid, il n’y a pas de
système législatif raciste. Il y a du racisme institutionnel, au quotidien,
ensemble de pratiques, d’habitudes non intentionnellement racistes qui le sont
en pratique dans leurs conséquences. Mais il y a de plus en plus de
législations racistes, des circulaires contre les Roms aux arrêtés anti
burkinis, qu’il faut dénoncer et combattre comme telles.
Faut-il parler d’islamophobie comme
d’une forme de racisme ? Il le pense, malgré la controverse
fallacieuse sur l’origine (coloniale) du mot. Pourquoi sinon ne pas critiquer
d’autres termes, comme « antisémitisme » puisque sémite et sémitisme
appartiennent au vocabulaire raciste ? Il invite à utiliser le terme islamophobie
dans la définition qu’en donne la CNCDH. Plus que " racisme antimusulman", "islamophobie" cible le contenu d’une religion. Mais une critique rationnelle
des religions ne peut justifier les discours essentialisant une partie de la
population en raison de sa confession religieuse.
Dans le débat,
Jean-Luc Primon revient avec force sur l’idée que la lutte des classes, pour
l’égalité, contre le néo-libéralisme anti-égalitaire, ne s’oppose pas, au
contraire, à la lutte contre les discriminations, qui produisent de
l’inégalité. Comment construire identité et conscience de classe, sans prendre
en compte les différences de situations et d’affects que créent les
discriminations, les racialisations ? Un accord interprofessionnel de 2006
oblige à une évaluation de l’application de la législation contre les
discriminations, mais elle n’a jamais été faite, parce que le MEDEF
refuse, et que les organisations, syndicales et politiques, antiracistes, ne sont pas à la hauteur de la mobilisation nécessaire pour l'imposer
Autant de raisons, comme le dit Fabienne Halloui, animatrice de la commission, de
construire un « antiracisme politique », contre « les
discriminations, qui sont une matérialisation du racisme », et d’opposer un
discours communiste alternatif, notamment en direction de la jeunesse, contre
celui de la droite extrême qui stigmatise une partie de nos concitoyens traités
en « français de papiers », et contre celui de l’idéologie islamiste qui leur dit « vous ne serez jamais français, ils ne veulent pas de
vous ».
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