Il était une fois quatre saisons. C’était aussi sûr que les quatre points cardinaux qui crucifient le monde. Mais aujourd’hui on n’est plus sûr de rien. Les amandiers insolents fleurissent en nivôse. Et la saison des Amandiers, dont on croyait les feux éteints, nous offre encore (1) des fruits. Quatre « pièces de crise » affichées à tout vent, au sens propre, du moins leurs commencements, quelle meilleure invitation ?
Gwénaël Morin et des jeunes comédiens de Lyon s’emparent à Nanterre des Molière de Vitez. L’école des femmes, Tartuffe, Dom Juan, Le Misanthrope. Je garde un souvenir inoubliable du festival d’Avignon, en 1978, avec le Théâtre des Quartiers d’Ivry investissant le Cloître des Carmes. Et cette reprise au festival d’automne à Paris, l’année suivante !
Ce sera, nous assure-t-on, encore différent, cette fois. Heureusement, une génération après… Mais sûr que les quatre « pièces problématiques » sont encore « sujettes à polémiques », trois cent quarante-trois ans après que Jean-Baptiste Poquelin fut nuitamment et quasi clandestinement enterré, selon la coutume, si charitable pour les gens de théâtre et autres blasphémateurs, du Royaume très chrétien de France.
Rien n’est moins sûr que Molière fût athée, Tartuffe n’est assurément pas un prophète, et l’Enfer n’est plus toujours imaginé plein de chaudrons bouillants où on plonge les femmes insoumises. Alors il est peu probable qu’une cabale de dévots de nouvelle génération se déchaîne.
Cependant, une fois deux profiteurs de l'"ancien" (?) régime et de sa crise, le patriarche incestueux et l’escroc hypocrite, tombés sous les rires, restent en scène le grand seigneur méchant homme cynique et libertin, et l’honnête homme qui fuit le monde. Si le dernier sera peut-être sauvé par une femme émancipée, tandis que son prédécesseur aura brûlé comme un impie malfaisant, si apparemment l’ordre règne au tomber du rideau, on sent bien que rien n’est définitivement joué pour autant. La vie des gens, dans le Grand Siècle et dans les siècles des siècles, jusqu’à nos jours, ne bénéficie pas, le plus souvent, de l’intervention providentielle de deus ex machina. Bons princes justiciers, spectres vengeurs, jouvenceaux nobles et amoureux, ami philosophe, ou serviteurs et servantes plus rusé-e-s et sensé-e-s que les maîtres… à chacun aujourd’hui encore de deviner quelles illusions dissiper et quelles espérances construire.
Les « problématiques » restent donc posées. J’ai hâte de voir comment en 2016 une jeune compagnie va les affronter. On peut couper le plaisir en morceaux, une pièce chaque soir. Je préfère « les quatre spectacles à la suite », en souvenir de certaines grandes aventures avignonnaises, et pour mieux saisir la dialectique à l’œuvre. En notre siècle où rien ne peut plus durer comme avant, où chacun se rend compte que tout va cul par-dessus tête, je brûle d’impatience : je crois que deux et deux font quatre … et après ?
(1) Cet « encore » est nostalgique, je l’assume. Mais c’est à lire aussi comme un « bis ». En effet, en première partie de saison, « ça ira (1). Fin de Louis », de Joël Pommerat, m’a incité à reprendre un abonnement. Cette création a redonné, à mes yeux, tout son attrait au Centre Dramatique National des Amandiers de Nanterre. Et pas seulement parce que pour ceux qui comme moi habitent la ville, le prix est vraiment un prix d’amis (5 euros la carte, puis 5 euros le spectacle). Sûr que si le choix des artistes invités est – au moins plusieurs fois dans l’année - de cette qualité, ce bel équipement public a un bel avenir devant lui, et il faut, si rénovation est nécessaire, le garder à Nanterre. Revisiter le passé et oser des formes novatrices, ne pas abandonner textes et paroles qui donnent à penser au profit de formes clinquantes et creuses ou de nivellement marchand…De bonnes résolutions semblent prises avec deux créations de qualité au moins cette saison : alors que deux et deux fassent quatre, puis beaucoup plus !
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