Comment écrire le dernier billet de l’année 2015 ? Comment écrire le dernier billet de cette sale année 2015 ? Comment écrire un dernier billet qui fasse office de vœux de bonheur, de réussite, de succès dans nos luttes communes pour l’année nouvelle qui est là, si proche ?
Guerres sans fin, attentats criminels, nihilisme fanatique
et bestial ; reculs sociaux ; violence sèche des gouvernants au service
des marchés financiers contre le peuple grec, et les autres ; trahison des
valeurs et des promesses de « la gauche » ; banalisation du
rejet des « migrants et réfugiés », de la mise à mort de milliers d’entre
eux, hommes, femmes et enfants ; montée des peurs « identitaires »,
du racisme, de la xénophobie, de la haine et du FN ; Front de gauche,
écologistes, « gauche de la gauche » ou « gauche radicale »,
au plus bas et en peine d’avenir alternatif , de nouvelle Histoire qui tisse un
sens à nos rêves… Bien sûr, d’Espagne ou même du Portugal, voire d’Angleterre, se
dessinent peut-être de nouveaux espoirs. Mais on aurait tant voulu le croire, avec
la Grèce, avec le Venezuela, avec tant d’autres peuples, si proches ou si
lointains, en 2015 comme naguère, que des failles allaient s’élargir dans la chape
de plomb du capitalisme mondialisé et qu’allaient en sortir de nouvelles
espérances, en ce vingt-et-unième siècle déjà adolescent.
Regardons
la réalité en face. Nous vivons une crise sans qu’apparemment en naissent des
signes crédibles que tout ce qui ne nous tue pas nous rendrait plus forts. Bon,
je ne vais pas moi aussi citer Gramsci ni Pasolini, vous les lirez mieux dans le
texte, et les signifiés de signifiants comme les monstres qui naissent ou les
lucioles qui meurent, à chacun de faire l’effort d’aller les chercher. La crise
systémique, globale, du capitalisme, dans ses phases toujours plus ultimes que
les précédentes, depuis le temps que des héritiers de la pensée de Marx l’analysent
pour abolir ou dépasser le système, il faut croire que la bête est plus solide
qu’on le croyait, pire que Dark Vador, et qu’elle pourrait bien entraîner tout
le monde à crever avec elle dans les eaux glacées de ses calculs égoïstes. Il
ne faut donc pas s’étonner que maintenant l’analyse rationnelle des
contradictions les plus antagonistes du capitalisme ne soit plus tant à la
mode. Ce serait plutôt une espèce d’Apocalypse, dans sa conception la plus
vulgaire et assassine, qui s’annoncerait comme horizon de l’imaginaire humain.
Même si les paillettes du retour au religieux le décorent pour certains, il n’a
en réalité rien de folichon. C’est pour le commun des mortels, d’une vision d’Apocalypse
sans Annonciation, Résurrection ni transcendance, qu’il s’agit, et elle rend à
la fois cynique et hargneux, peureux et résigné aux ordres de loups déguisés en
bergers. C’est l’angoisse d’un avenir aussi triste et moche que l’immanence matérialiste
d’une crise mortifère et sans fin, sans révolution, sans quelque communisme de
nouvelle génération qui poindrait çà et là, comme des saxifrages (1) poussant leurs
racines dans les fissures des murs.
Vous voyez, j’étais bien à la peine pour écrire un billet
qui remonte le moral, après la maudite année 2015. J’en étais à chercher d’exemplaires
saxifrages, quand l’heure du réveillon approchant, j’ai décidé de gagner du
temps. Or, pour imaginer l’avenir sans se perdre en fioritures, c’est bien
connu, il faut analyser le passé, qui en contient les germes, et considérer le
présent comme le fugitif moment où il faut de l’action pour qu’un avenir aussi proche
que possible de ce qu’on voudrait qu’il soit apparaisse.
« A mes yeux, tout a commencé en 1995 »
Je venais de lire un
article de Roger Martelli : ça tombe bien, parce qu’il est historien, parce
qu’il est « communiste indécrottable », et d’autant mieux que je
voudrais que vous, que toutes celles et tous ceux qui ne voulez pas vous dessécher
dans l’enfer d’une apocalypse triste, ni sombrer dans la grisaille d’une crise
sans fin, vous lisiez ce qu’il écrit. Je ne vais pas résumer « Continuer c’est
renoncer…le nouveau n’adviendra que des générations nouvelles. ». D’abord
parce que le texte n’est pas très long, ensuite parce que je ne vais pas perdre
le peu de temps qui nous séparent de l’année nouvelle à paraphraser un texte
mieux écrit que je ne pourrais le faire, et si ce n’est que sur des détails
sans importances, je serais bien incapable d’agrémenter un tel plagiat de
quelque critique pertinente, car je suis en accord sur le fond avec ce qu’écrit
Roger Martelli. « A mes yeux, tout
a commencé en 1995 », écrit l’historien. Ce qui peut paraître étrange,
mais quand vous l’aurez-lu, cet article, vous verrez sans doute où il veut en
venir, en périodisant ainsi la trame d’un passé si proche d’un présent dont nous
nous dépatouillons si mal.
Ensuite, lisez ou relisez les dernières pages
des 8 numéros de l’Humanité des 21 au 31 décembre, intitulées « Décembre
1995/Tous ensemble ». En dessous le même chapô : « Le 15 novembre 1995, le premier ministre, Alain Juppé, lançait
une vaste attaque contre la protection sociale, visant les régimes spéciaux de
retraite, mais aussi l’assurance maladie, les fonctionnaires…Le 24 novembre,
les cheminots engagent une grève reconductible. La riposte gagne l’ensemble du
secteur public. Majoritaire dans l’opinion publique, ce mouvement, le plus
puissant depuis 1968, animé par la CGT et FO, se traduit par des manifestations
d’ampleur exceptionnelle. Au bout de trois semaines, Juppé plie, renonce à
toucher à la retraite des cheminots, mais maintient la « réforme » de
l’assurance maladie ».
Le plus intéressant, c’est de se rendre compte
que ce chapô est très réducteur quant à la portée de l’évènement, la diversité
des acteurs des luttes, et son inscription dans un temps d’émergence de
mouvements de la jeunesse, des femmes, des « sans »…Les animateurs
des luttes qui témoignent, développent leurs analyses, pour la plupart
interpellent les « politiques », en lien avec la situation
présente, en font ainsi une heureuse démonstration. Lisez ou relisez vous-mêmes Bernard Thibault, secrétaire général,
en 1995, de la CGT cheminots (« Tous
unis pour faire plier le gouvernement ») ; Maya Surduts, « figure féministe
et membre de la CADAC » (« Le maillon faible reste les femmes ») ;
Henri Maler, «un des initiateurs de
l’appel du 4 décembre 1995 » («Un appel à la solidarité, un manifeste politique ») ; Bruno Dalberto, syndicaliste, qui était
en 1995 secrétaire général de la fédération des transports CFDT (« L’unité
syndicale a été centrale chez les cheminots ») ; Richard
Dethyre, cofondateur de l’APEIS, sociologue (« L’émergence
des mouvements des « sans » ») ;
Danièle Linhart, sociologue,
directrice de recherche émérite au CNRS (« Pourquoi
plus en 2015 ? ») ;
Michel Deschamps, secrétaire général
de la FSU en 1995 (« ça
vaut toujours le coup d’oser agir tous ensemble ») ; Marie-Pierre
Vieu, présidente de l’UNEF en 1995, membre du collège exécutif national du
PCF (« Avant
1995, l’horizon était sombre et lourd »).
J’ai lu avec d’autant plus de plaisir, plaisir
que je vous invite à partager, ce bouquet de textes, qu’en 1995, j’avais cette
impression de vivre, en participant à ces grèves et à ces manifestations, un
évènement fort. Ce fut le dernier affrontement frontal du « mouvement
social » avec le pouvoir qui marqua des points. Même si évidemment le
débouché politique fut loin d’être à la hauteur, ce que regrettent plusieurs des
contributeurs, et qui est l’objet du texte de Roger Martelli, qui prolonge son
analyse jusqu’à nos déboires de 2015.
Evidemment on ne refait pas le passé, le passé
ne se répète pas ; mais il faut savoir en tirer les enseignements, si on
veut être à la hauteur de l’injonction à la une du dernier numéro de l’année du
journal fondé par Jean-Jaurès : Après
2015...Tout est à réinventer !
(1) chacun aura reconnu la référence à Marie-José Mondzain : http://www.formes-vives.org/saxifrage
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