L’été
du quatre-vingtième anniversaire du Front Populaire aurait pu être celui d’une
commémoration populaire unanime : celle de la conquête des congés payés. L’arrivée
à la plage, à la mer, de catégories sociales qui n’y avaient pas accès
auparavant, aurait pu être partout fêté. Quelle plus belle image de la liberté,
de l’égalité, de la fraternité, en effet, que ces hommes, ces femmes, ces
enfants dans la chaleur du soleil et dans la fraicheur des vagues ?
Gouvernants
et médias auraient pu ringardiser les campagnes des riches qui
dénonçaient en 1936 l’invasion de « leurs » plages par des « salopards
en casquette », et s’indigner que les « ghettos des riches »
et le racisme social, dénoncés par les sociologues Pinçon-Charlot, soient encore
loin d’appartenir au passé.
Gouvernants
et médias auraient pu s’inquiéter que tant de familles, en 2016, ne puissent
pas partir en vacances, et se mobiliser, comme le font des
municipalités, des comités d’entreprises, des associations comme le Secours Populaire
ou des communistes dans des banlieues, pour que ce bol d’air, ce bonheur, ne
serait-ce que le temps d’une journée, soit un bien commun mieux partagé.
Les
gouvernants et les médias auraient pu s’insurger contre la privatisation, le
bétonnage, les pollutions, contre tout ce qui porte atteinte à l’accès libre et
gratuit à la mer, tout ce qui menace le littoral, tout ce qui
détruit la vie marine et les ressources de la planète.
Gouvernants
et médias auraient pu sensibiliser l’opinion à l’horreur, au scandale de la
transformation de mers, de la Méditerranée à l’archipel des Comores, en
cimetières, et de zones côtières en camps , en centres de rétention
et de tri, pour des dizaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, qui,
migrants, réfugiés, ou demandeurs d’asile, souffrent et meurent aux frontières
de l’Europe, ou pour la très grande majorité d’entre eux, non loin de leurs pays d’origine ;
expliquer pourquoi il faut d’urgence, sans attendre, ouvrir des voies d’accès
légales et sécurisés aux arrivants ; pourquoi il faut se mobiliser pour arrêter les guerres et les
pillages, en finir avec les terrorismes d’Etats et de bandes criminelles ;
avec toutes les formes de racisme et de xénophobie ; avec les lois,
décrets et circulaires qui créent des « sans-papiers » .
En
un mot, ils auraient pu, saisis d’un miraculeux élan de sincérité autocritique,
profiter du 15 août pour lancer débats et réflexions sur des alternatives à la
politique qu’ils imposent, qu’ils prétendent seule possible, et dont la
majorité de la population se rend compte qu’elle conduit à plus de régressions
sociales, d’inégalités, d’injustice, de violences et de désastres. Car les
vacances sont des temps libérés de contraintes, des moments possibles de
réflexion, de conscientisation, de contacts et d’échanges avec un cercle plus
large de ses concitoyens. Mais c’est un moment aussi où on a envie de vivre un
peu tranquille, d’échapper à ses angoisses et à celles du monde, de réparer ses
forces. Alors gouvernants et médias
auraient pu, après les horribles déchirures des attentats criminels de juillet,
profiter du moins d’août pour réparer notre tissu social.
Ils auraient pu célébrer la
belle image du vivre ensemble, de tolérance, de respect des différences, que
présente la grande diversité des façons dont on s’habille ou on se dénude sur
les plages : textile ou naturiste, pudeur ou nudité, hédonisme ou rigorisme…
« Homme
-et femme- libre, toujours tu
chériras la mer » : quels éléments de communications
profonds, quelles riches analyses de nos psychés et de nos destinées communes, aurait
pu inspirer ce poème de Baudelaire (1)
!
Gouvernants
et médias auraient pu soutenir la cause des femmes, en
montrant la grande diversité, affichée dans leurs tenues de bain, de façons de
revendiquer que leurs corps leur appartiennent ; de se révolter contre la
domination patriarcale, contre la marchandisation de l’érotisme ; d’affirmer
leurs personnalités singulières, ou leurs identifications plurielles avec des
canons dictés par la mode, et, ce qui ne saurait être plus critiquable, par
leurs croyances, religieuses ou autres.
Mais
ils ont fait le choix inverse. Celui d’emboiter le pas à la droite et à son
extrême, lesquelles, faute de réelles divergences avec la
politique économique et sociale actuellement menée, font des migrants et des musulmans
leurs boucs émissaires, et appellent les réacs de toutes les chapelles à une
nouvelle manif « pour tous » en octobre.
La
relance, encore une fois en ciblant des femmes, de la campagne islamophobe, ne
peut que faire le jeu de tous les fanatismes, de tous les extrémismes, de tous
les terrorismes. Stigmatiser une religion – et une seule - dont une lecture et une pratique
« intégristes » suffirait à métamorphoser des jeunes en monstres
assassins, c’est banaliser l’islamophobie qui est une forme de racisme (2), c’est passer à côté de
toutes les analyses sérieuses et de toutes les mesures à prendre, en France et
sur le plan international, pour gagner la paix, pour reconstruire un vivre et
lutter ensemble, pour redonner espoir en un avenir commun.
(1)
Charles BAUDELAIRE (1821-1867)
L'homme
et la mer
Homme libre, toujours tu
chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
(2)
ACTE RACISTE : Traitement différent et défavorable
réservé à une personne (par rapport à une autre se trouvant dans une situation
comparable), en lien avec son origine, sa religion ou son apparence physique.
http://www.egalitecontreracisme.fr/ce-que-dit-la-loi
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