Chômage et misère
Depuis une semaine, des journalistes révélaient quelques chiffres que leurs rédactions s’étaient procurés, et estimaient la situation alarmante. Libération, ce matin, titre « Des banlieues minées par le chômage des jeunes » un article qui reprend une dépêche de l’AFP. 43% des jeunes actifs et 37% des jeunes actives y sont au chômage (dont le taux moyen atteint 18,6% dans ces quartiers). Soit 100 000 des 250 000 jeunes qui seraient en âge de travailler (ou de continuer des études). Cette situation touche massivement les jeunes diplômés, pour la première fois depuis 2003. Les femmes d’origine étrangère sont elles aussi, plus que dans d’autres quartiers, dans l’impossibilité de trouver un emploi salarié. Faut-il s’étonner alors qu’il y ait dans les ZUS deux fois plus d’allocataires des minimum sociaux, deux fois plus de personnes sous le seuil de pauvreté, trois fois plus de bénéficiaires de la CMU qu’ailleurs ? Que le revenu fiscal par ménage soit de 40% à 50% inférieur à celui de la population de l’unité urbaine ? 25% des allocataires des CAF y sont des familles monoparentales. Chaque année, 7% des habitants quittent ces quartiers, et sont remplacés par de nouveaux habitants à la situation encore plus précaire.
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| Dans l'Humanité du 24 décembre un entretien avec Marie-Hélène Amiable, maire de Bagneux, députée des Hauts-de-Seine, qui demande une péréquation financière plus importante en faveur des banlieues défavorisées |
Chaque mesure gouvernementale visant à faire payer encore plus la crise aux gens du peuple, chaque atteinte à la protection sociale, chaque diminution des remboursements de la sécurité sociale, chaque hausse des prix des transports, des loyers ou des denrées alimentaires, chaque suppression d’emploi dans le public ou le privé, chaque baisse du pouvoir d’achat des salaires et pensions de retraite et des revenus minimum, chaque restriction des subventions aux associations, ont des conséquences terribles pour cette population fragilisée. Elles aggravent le repli dans sa propre misère et les débrouilles de survie, le manque de disponibilité et d’intérêt pour une participation à la vie publique, associative, culturelle, politique, ce dont l’abstention massive aux élections ne constitue qu’un des symptômes. Sans la reconquête d’une sécurité de sa vie et de son avenir dans la société, la sécurité de sa personne et de ses biens ne saurait être assurée. On peut espérer que la parole experte que constitue le rapport aidera à combattre les politiques néolibérales qui prétendent remplacer l’Etat-providence par un faux semblant de guerre à la « canaille », afin de casser toutes les solidarités et les résistances populaires. La délinquance est un concept fourre-tout, qui recouvre des réalités diverses, de l’incivilité agressive d’ados en souffrance au business arrogant et dangereux de quelques gros trafiquants. La présence d’une vraie police de proximité, de plus d’éducateurs… pourrait rendre plus tranquilles la rue et les hall d’immeubles. Le rapport fait pourtant état, selon l’AFP, d’une baisse de la délinquance de 11% entre 2005 et 2009, avec toutefois, si les atteintes aux biens diminuent, une hausse des atteintes à la personne. L’enquête est à examiner de près.
Fuir ou construire l’école populaire ?
Le même « optimisme » est partagé par les commentateurs, concernant la question de l’échec scolaire. Il y aurait un progrès, puisque certains indicateurs montrent que l’écart entre les ZUS et les autres quartiers tendrait à se réduire, bien que les résultats restent bien moins bons qu’ailleurs dans les quartiers populaires sélectionnés. Une première lecture de la dizaine de pages du rapport consacrées aux lycées et collèges,me semble au contraire montrer que la lutte pour la démocratisation de l’école reste à faire, et que ce n’est pas la politique scolaire actuelle qui permettra de remédier aux inégalités ! Par exemple, l’augmentation du nombre des élèves par classe dans les ZUS est actée par le bel euphémisme : « Plus d’élèves par structure pour une dotation horaire stable ». S’il y en avait encore 2,3 de moins qu’ailleurs par classe, c’est que les moyens dont disposaient les ZEP n’avaient pas encore tous été rognés. L’écart se réduit, depuis 2007, vers un alignement, à la hausse, sur les effectifs des classes des autres établissements. Une situation qui ne peut que s’aggraver avec la poursuite des suppressions de dizaines de milliers de postes d’enseignants.
Des professeurs sont plus jeunes et restent moins longtemps dans les établissements en ZUS (31,5 % y sont depuis moins de deux ans). Les conséquences de la suppression de la formation professionnelle des nouveaux professeurs risquent donc d'être les plus douloureuses dans ces établissements « difficiles ». La « baisse structurelle » du nombre d’élèves dans le second degré, entre 2002 et 2008, a été de 10,8 % en ZUS contre 4,7 % en moyenne nationale, et même de 14,8 % dans les collèges, où le nombre d’élèves a pourtant augmenté de 1,7 % hors ZUS. Des collèges disparaissent même dans ces quartiers (-3,4 %, contre + 1,5 % en France). Ce qui ne peut s’expliquer que par l’ « assouplissement de la carte scolaire » et la mise en concurrence entre établissements, publics et privés.
Les écarts de réussite entre les élèves des ZUS et les autres restent grands, et les difficultés scolaires très importantes, qu’on les mesure par l’âge d’entrée en sixième (un tiers avec au moins un an de retard, malgré la « diminution des redoublements », contre 17% ailleurs), le redoublement de la seconde (20,5 % contre 5,8 % ailleurs), la réussite au brevet et au baccalauréat, ou l’orientation privilégiant les sections professionnelles courtes. Et l’enquête ne dit rien sur les études post baccalauréat ! Les auteurs considèrent que la nationalité et la catégorie sociale de la famille sont les facteurs les plus « discriminants », accentués par un « effet quartier populaire ». Le recul de la scolarité en maternelle, les suppressions de postes d’enseignants spécialisés des RASED , n’avaient pourtant pas eu le temps, en 2008-2009, de provoquer de nouveaux échecs de l’école dans les quartiers populaires…
Réinventer la politique
Les habitants des ZUS ne peuvent s’en sortir que par l’action collective, afin de résister et de riposter à des choix qui ne peuvent que rendre la situation encore plus insupportable. Lutter, c’est aussi faire entendre ses besoins, ses aspirations, trouver les moyens ensemble de les faire aboutir, bousculer les pouvoirs et s’en emparer, changer les formes et les buts de la politique. C’est, en d’autres termes, participer à la construction d’ un programme populaire partagé. Ce n’est ni spontané ni facile, mais si ceux qui, avec le Front de gauche, veulent vraiment que ça change, ne mettent pas toute leur énergie pour en créer la possibilité, dans les zones urbaines sensibles, les choses ne peuvent qu’empirer.
Pour lire en ligne le rapport : cliquer sur le titre du billet ou voir ci-dessus la nouvelle rubrique : « Documents et rendez-vous »


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