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40 mars 2016, Place de la République, Paris

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lundi 11 octobre 2010

Ce n’est pas le Goncourt qui fait le grand écrivain.

Je ne sais pas si Michel Houellebecq aura le prix Goncourt le 8 novembre. Cela n’a aucune importance pour moi, pour lui sans doute que si. Je ne savais même pas qu’il serait parmi les favoris quand j’ai lu La carte et le territoire. Houellebecq, je suis tombé dedans l’année où la sortie d’un de ses romans a créé une sacrée panique dans la hiérarchie de l’Education nationale. Interdiction de faire lire cette œuvre, sulfureuse et contraire aux bonnes mœurs, aux élèves du second degré ! On nous refaisait le coup de l’Ecume des jours, faute de pouvoir refaire le procès des Fleurs du Mal. Comme si les professeurs de lettres étaient pédophobes au point de faire plancher les minos de collège sur Plateforme ou sur Les particules élémentaires. Nous avions heureusement encore assez de formation professionnelle pour nous rendre compte par nous-mêmes que la lecture de Michel Houellebecq demande d’avoir atteint une certaine maturité.

Maturité qu’apparemment nombre de critiques n’avaient pas atteinte. Je ne sais pas s’ils avaient vraiment pris au premier degré les provocations de l’écrivain, s’ils étaient vraiment incapables de comprendre que l’ironie, dans la création contemporaine, n’a pas tout à fait la même saveur que le Candide de Voltaire ; ou si la crudité égoïste, obscène et cruelle de notre monde mise à nu dans une fiction, c’était tout simplement insupportable à l’heure de la marchandisation triomphante du corps et de l’esprit. Il est vrai que l’individu Houellebecq faisait tout pour se singulariser, avec sa drôle de manière de tenir sa clope et de répondre laconiquement aux plus habiles questionneurs de la télé.

Le plus amusant c’est que les mêmes aujourd’hui sont tout miel pour le soi-disant misanthrope qui se serait assagi. Quelle blague ! Je trouve au contraire que l’écrivain n’a jamais été plus subversif, plus incisif dans sa critique de notre monde. Son cri de désespéré lancé à ses frères humains est peut-être plus audible maintenant que la crise mine les idéologies des bien-pensants. Quant à l’audace de création, je n’avais jamais lu un texte contemporain dans lequel l’auteur se livre et se dénonce à ce point, s’autoportraiture aussi cruellement, se met littéralement en pièces…La création artistique, l’écriture, la photographie, la peinture, la sculpture dans ses rapports avec le réel, avec l’argent, avec la société, avec les passions, avec la solitude… c’est le cœur de ce qui pourrait être un roman d’initiation. Celle du plasticien Jed Martin, qui perce sur le marché, et connaît un bref amour, en glorifiant en œuvre d’art des cartes Michelin. Ce serait aussi un roman d’anticipation, un roman policier, un conte philosophique…si on pouvait maintenant le conseiller impunément aux prof de lycée pour leur progression annuelle.

Moi, je peux enfin, sans visée pédagogique, me livrer sans vergogne à des lectures brouillonnes, des lectures plaisir. Je commence toujours par ouvrir le livre au hasard. Pour La carte et le Territoire , ça donne, page 35 : « Jed ne se souvenait plus quand il avait commencé à dessiner. Tous les enfants dessinent sans doute, plus ou moins, il ne connaissait pas d’enfants, il n’était pas sûr. Sa seule certitude à présent, c’est qu’il avait commencé à dessiner des fleurs – sur des cahiers de petit format, à l’aide de crayons de couleur. ». Et puis, c’est plus fort que moi, je saute à la dernière page : « Ce sentiment de désolation, aussi, qui s’empare de nous à mesure que les représentations des êtres humains qui avaient accompagné Jed Martin au cours de sa vie terrestre se délitent sous l’effet des intempéries, puis se décomposent et partent en lambeaux, semblant dans les dernières vidéos se faire le symbole de l’anéantissement généralisé de l’espèce humaine. Elles s’enfoncent, semblent un instant se débattre avant d’être étouffées par les couches superposées des plantes. Puis tout se calme, il n’y a plus que des herbes agitées par le vent. Le triomphe de la végétation est total. »

J’ai pensé, allez savoir pourquoi, à René Char : « Le poète meurt de l’inspiration comme le vieillard de la vieillesse. La mort est au poète ce que le point final est au manuscrit. ».

Et j’ai repris tout depuis le début, saisi d’une irrésistible envie de recoller les morceaux du puzzle, dans le bon ordre, si possible.

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