Le rendez-vous de mardi 6 avril a rassemblé une centaine de personnes, assez représentatives des forces de gauche et citoyenne de la circonscription électorale de Jacqueline Fraysse, députée de Nanterre et Suresnes. La liste de diffusion du Lien, bulletin de compte-rendu de mandat, avait en effet servi à l’envoi des invitations pour une soirée au cours de laquelle Patrick Jarry et elle-même allaient s’expliquer « franchement » sur les raisons qui les ont conduits à quitter le PCF, et sur ce qu’ils envisageaient pour « la suite ». Respectueux et attentif, le public, invité à intervenir, était composé de militants et d’élu-e-s municipaux, actuels ou ex, PCF, PS, NPA ou Vert, de militants associatifs et de citoyens jamais encartés nulle part.
Qu’une telle réunion soit possible en dit long en soi sur ce qui a changé au PCF et plus largement dans la conception même de l’engagement en politique, depuis les dernières décennies du siècle dernier. Pouvoir pendant plus de deux heures débattre avec deux élu-e-s qui estiment ne plus pouvoir continuer à transformer le PCF, et donc décident de quitter « une force qui est dans l’impasse », estiment-ils, sans que ce soit un mélodrame, et encore moins un règlement de compte, cela aurait-il été possible « avant », comme on dit, dans les années plutôt dures où Patrick Jarry était secrétaire de la section de Nanterre et un des dirigeants de la fédération du PCF, et Jacqueline Fraysse, membre de son comité central ? Paradoxe apparent, ce sont des jeunes communistes, qui n’ont pas connu – heureusement pour eux – le temps de la guerre froide, qui ont, presque seuls, fait figure d’ « accusateurs publics ». Le ton de la salle était en général circonspect et fraternel , ce qui n’a pas empêché une franche discussion, laquelle demande évidemment à se poursuivre dans tous les espaces citoyens que chacun à sa manière déclare vouloir construire.
Force était de constater que, dans les propos introductifs de Patrick Jarry et les réponses de Jacqueline Fraysse aux interventions de la salle, dans l’expression du sens de leur engagement, de leur mandat d’élu-e-s, dans leur volonté de faire des citoyens eux-mêmes les acteurs de leurs luttes et des inventeurs de nouvelles façons de concevoir la politique, chacun retrouvait les questions de fond que se posent depuis des années tous les acteurs des luttes de transformation sociale, et en particulier les communistes, encartés ou pas. Que dans tous les partis, y compris mais pas seulement – loin s’en faut !- au PCF, des logiques d’appareil, qui n’existent pas que dans la tête de dirigeants, constituent des obstacles, c’est une évidence qui ne date pas des dernières présidentielles, et les Régionales les ont une nouvelle fois mises en évidence.
Un besoin de « nouvelles utopies pour changer le monde »
Pour dépasser la « crise de la démocratie », inséparable en effet de la « crise sociale et écologique », Patrick annonce des réflexions nouvelles sur les rapports entre « l’individu et le collectif », entre « l’individualité et la mise en commun », en opposition avec un vieux schéma qu’il est devenu banal de considérer comme obsolète : « les partis élaborent des solutions, les militants les vulgarisent pour en convaincre le maximum d’individus à rassembler ». L’élu veut également poser en termes différents le « rapport entre gestion et radicalité ». Il s’agit d’être « dans le faire », de créer « des espaces nouveaux à côté du marché capitaliste, en s’appuyant sur l’économie sociale et solidaire, les associations, les centres sociaux et culturels », quitte à repenser une conception des « services publics locaux » qui, à ses yeux, priveraient parfois les habitants de possibles prises d’initiatives… Cette question sensible des services publics, ainsi posée, est sans doute de celles qui annoncent de rudes débats , avec les salariés et les citoyens-usagers, au moment où la casse de la fonction publique, y compris territoriale, est un des objectifs du néo-libéralisme !
Mais, plus généralement, « comment cela peut-il être autre chose qu’ un sympathique populisme local », qui « ne peut pas faire le poids face à l’offensive de Sarkozy, qui, lui, a son parti, sa presse, l’Etat… ?», interroge une ancienne élue qui a été membre du PCF. « Quel engagement dans les luttes sociales, dans les luttes de classes, dans les mouvements sociaux face au patronat ? », poursuit un autre intervenant. Pour le maire, « il ne s’agit pas de se replier sur Nanterre », mais au contraire de construire, dans une « horizontalité qui s’oppose à la verticalité » des rapports de domination, « de nouveaux lieux de changements, des réseaux de villes, du local au national, de l’européen au mondial, dans tous les territoires, toutes les dimensions, tous les échelons » avec en particulier les « villes porteuses de projets de démocratie participative, éducatives, des périphéries et banlieues… ».
« Faire quelque chose d’autre »
Mais cette « utopie pour changer le monde » a bien besoin d’outils politiques ? Aux yeux de Patrick Jarry et de Jacqueline Fraysse, il faudrait, au bout de quinze ans d’efforts, se rendre à l’évidence : les partis politiques, et notamment le PCF, sont « incapables de se libérer de leurs matrices originelles » vieilles de plus d’un siècle, ce qui les vouerait à être irrémédiablement dépassés. Patrick reconnaît qu’être maire étiqueté PCF apparait souvent comme un gage d’ « honnêteté », assure un « ancrage historique » à Nanterre, même si certains habitants s’en étonnent. Leur décision n’est donc pas « contre le PCF ». Mais « rester au PCF, considèrent aujourd’hui le maire et la députée, ce serait empêcher que du nouveau se construise ». Une initiative comme le Front de gauche, qui veut répondre précisément au besoin d’un espace pour que les acteurs du mouvement social, les citoyens, s’emparent de la politique ? Ce ne serait, pour Patrick Jarry, qu’un accord de sommet entre partis. Alors, que faire ? Construire une « gauche citoyenne », avec ceux qui le veulent, avec notamment d’autres élu-e-s qui quitteraient le PCF, répondent les deux élu-e-s, qui préparent un appel en ce sens. Tout semble pour eux encore à inventer, puisque la FASE (Fédération pour une Alternative Solidaire et Ecologique) ne paraît pas les avoir convaincu-e-s de son efficacité.
Les enseignements tout personnels que je tire de cette soirée sont multiples. Le principal est que la décision de Patrick Jarry et de Jacqueline Fraysse de quitter le PCF, comme d’autres l’ont fait plus ou moins discrètement, constitue un nouvel avertissement pour tous les communistes : le « congrès d’étape » de juin du PCF devra engager de très profonds changements dans sa façon de faire de la politique. Si on considère que les partis politiques sont des conquêtes démocratiques précieuses qui peuvent permettre encore au XXIème siècle que le peuple devienne acteur de la politique, si l’on pense que le PCF peut-être utile à la construction d’un mouvement populaire majoritaire, porteur lui-même d’un projet révolutionnaire, il faut en effet revoir sa conception de fond en comble. Enfin, les propos et les engagements en tant qu’élu-e-s de Patrick Jarry et de Jacqueline Fraysse, leur volonté de construire des espaces de débats nouveaux, font partie, aujourd’hui comme avant leur décision de quitter le PCF, des multiples recherches, tâtonnements et expériences qui sont aussi les nôtres. Ils appellent au débat, à la critique constructive, à la confrontation avec d’autres expériences, avec le réel.
Saurons-nous ensemble construire des fronts de lutte, des espaces citoyens, voire une maison commune ? L'urgence d'une "situation qui ne peut plus durer", les attentes et le désarroi des "plus démunies" des victimes de la crise du capitalisme, que le maire et la députée communistes connaissent bien, fait du rassemblement de toutes nos forces notre devoir commun.
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