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40 mars 2016, Place de la République, Paris

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Nanterre en colère

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En 2017, changeons la politique !

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samedi 28 juin 2008

Au printemps, de quoi rêvais-tu ?

Les témoignages sont sollicités pour que chacun se remémore « son mai 68 ». J'ai hésité à le faire, car si j'ai « couru les barricades » comme un adolescent, je n'ai pas réellement participé aux luttes du printemps, et ma compréhension de la situation était des plus limitées. Cependant, à la réflexion, peut-être, pourra-t-on trouver à comprendre l'état d'esprit d'un enfant d' ouvrier qui a bénéficié de l' « ascenseur social » que constituait l'école de cette époque, et ce qui l'a décidé, peu après les événements de mai, à militer dans une organisation communiste...

Mai 68, c'est l'année du bac, j'ai presque 18 ans. Depuis trois ans, je suis interne à l'Ecole Normale d'Instituteurs de Versailles. Je suis un enfant d'ouvrier qualifié, mon père est ajusteur-outilleur à Air France, Orly sud. Il est délégué CGT, électeur communiste, lecteur assidu de l'Humanité. . Ma mère est femme au foyer, mère de famille nombreuse, nous sommes six frères et soeurs, je suis l'ainé. Je ne suis pas encore de très près la politique, mais évidemment, mon environnement familial , matériel et culturel, marque en profondeur ma vision du monde. Notre réussite scolaire, c'est le plus important pour mes parents. C'est ainsi qu'à la fin de ma troisième , le concours d'entrée à l'ENI couronne le parcours de l' élève laborieux, timide et docile, que je reste jusqu'en terminale, jusqu'en mai 68.
Les « élèves maîtres » sont soumis à une assez sévère discipline
, mais les conditions d'étude permettent de conduire nos promotions entières , pour la très grande majorité d'origine populaire, au baccalauréat, avant une année de formation professionnelle jugée suffisante à cette époque pour être lâché devant une classe. Ce qui nous révolte, c'est un règlement qui nous confine dans l'internat cinq jours et demi sur sept, l'obligation de porter la blouse, la cruauté de certains bizutages...Pendant l'année scolaire 67-68, nous nous sentons à l'écart du monde, mais des discussions passionnées marquent les cours et les études en histoire et en philo. Des affiches manuscrites commencent à couvrir les murs des salles, peu à peu des prises de conscience se font jour. Quelques-uns se déclarent membres de la JC, d'autres se positionnent en farouche anti-staliniens avec l'AJS/OCI trotskiste. La grande majorité de ma promotion pense surtout avec angoisse au bac.
La première manif est organisée un jeudi après midi, début mai – nous avons quelques heures de quartier libre le jeudi – par les troskistes, à travers Versailles, puis nous avons un mystérieux rendez-vous dans les jardins du château, afin de déjouer la répression ! Il y est question de révolution prolétarienne et de la nécessité pour y parvenir de « briser l'appareil stalinien » incarné par la CGT et le PCF. Quelques discussions autour de la table familiale le dimanche, une attention plus grande aux explications sur les luttes syndicales à Air France, et puis ensuite la grève et l'occupation des ateliers à laquelle mon père prend une part active, me font assez vite comprendre où se trouvent les véritables forces de la classe ouvrière, et ses véritables aspirations. Cela ne m'empêche pas de faire le mur de l'internat pour aller dans les manifs et suivre des cortèges parmi les plus "enragés", malgré mon étonnement devant la facilité avec laquelle de jeunes ou moins jeunes adultes coupent les arbres sur le Boul'Mich à quelques centaines de mètres des CRS, et devant la non moins grande facilité avec laquelle ces derniers, dès qu'ils en reçoivent l'ordre, contournent les "barricades" pour nous faire déguerpir. Mais je suis un gamin qui a tellement peur de passer le bac qu'il ne révise rien et ne veut pas rater une"révolution", qui, peut-être, lui épargnera une telle épreuve ! Ce gamin est "arrêté" une nuit par un gendarme mobile rue Gay-Lussac, chargé dans un panier à salade, débarqué devant l'hôpital Beaujon, entre deux rangées d'agents de la police parisienne qui accueillent à coups de matraques, dûment fiché,puis entassé avec d'autres subversifs jusqu'au matin dans une grande cage de garde à vue...Un premier contact avec la "répression de l'Etat policier" qui n'a rien de glorieux.
Le souvenir le plus fort c'est la grande manifestation du 24 mai, que je fais avec le cortège de la CGT d'Air France, cette fois avec enthousiasme et gravité, certain qu'avec tout ce monde dans la rue, De Gaule n'a plus qu'à partir et que le gouvernement populaire est possible. On connaît la suite. Pour notre famille, une augmentation bien venue du salaire paternel, mais sur le plan politique, en guise de révolution, une désastreuse victoire de la droite. Je commence à lire l'Humanité régulièrement,ostensiblement, pas seulement pour provoquer les "bourgeois" qui ont voté De Gaule...Des traitres ou pas les communistes du PCF ? Mes parents ont voté communiste, comme toujours, en juin, et ils estiment que la situation n'était pas révolutionnaire. Mon père dit que ce qui l'a empêché de devenir membre du parti communiste, c'est le fait que peu après la Libération, les militants communistes faisaient une quête pour offrir un cadeau à Staline pour son anniversaire. Je ne comprends pas alors complètement le sens profond de cette parole, que je perçois comme un regret.
Le 10 juillet, je passe un bac des plus expéditifs : une jounée d'interrogations orales. Contrairement à la légende, il n'est pas donné à tout le monde, mais à la moitié des candidats.
Je décroche une petite mention qui me permet d'accéder à l'Université avec un pré-salaire d'élève professeur, donc en situation d'étudiant "privilégié". C'est à Censier que j'ai de sérieuses discussions avec des militants communistes, qui tiennent des permanences de l'Unef "renouveau" et de l'UEC dans le hall. Pendant les évènements de mai, je n' avais guère eu l'occasion ou peut-être vraiment l'envie de le faire. Le printemps de Prague et sa répression en août par les chars soviétiques alimentent des discussions très vives. Quand ce n'est pas de violentes bagarres avec les "gauchistes". Je suis rassuré que le PCF ait "désapprouvé" l'intervention soviétique, faute de la condamner. Surtout, j'ai beaucoup lu les semaines précédentes, j'ai tellement besoin de trouver une idée "de stratégie révolutionnaire" claire qui permettrait un engagement conforme à mon identité d'enfant d'ouvrier se retrouvant à la fac, ce qui, en quelque sorte, préserverait cette identité. La "démocratie avancée ouvrant la voie au socialisme" me paraît, pour aller vite, à ce moment, correspondre à ce qu'on peut faire, faute de grand soir. J'ai eu aussi ma première expérience de salarié comme manutentionnaire au Monoprix de la place Blanche, en attendant mon premier salaire d'élève professeur. Un "chef", particulièrement méprisant pour les employés, méfiant et provocateur à l'égard des étudiants embauchés qu'il soupçonnait d'être de dangereux gauchistes, nous dit un jour : "Je comprends toutes les idées politiques, mais comment peut-on voter communiste ? Vous l'avez-vu à la télé, Waldeck Rochet ? Même pas capable de parler, toujours à lire un papier !"
Le fait que ce minable agent des exploiteurs prétende rabaisser son "ennemi de classe" au nom de critères aussi bourgeois que le bien parler à l'ORTF, a sans doute contribué à me rendre sympathique le "révolutionnaire" ainsi décrié !
Toujours est-il que quelques mois plus tard, je décide d'adhérer à l'UEC, puis au PCF.



1 commentaire:

françoise a dit…

bravo André pour l'écrture et merci de nous livrer ta belle histoire simple et vrai de communiste