Béton après béton, la poussée de La Défense bouche l'horizon des "tours nuages" |
Les Tours Aillaud, avec leurs 1607
logements sociaux, si proches du coeur du quartier d’affaires de la Défense, dont les
avancées tentaculaires enserrent progressivement par le nord-est le quartier du
Parc à Nanterre, constituent depuis l’origine un défi, une provocation. Elles sont depuis longtemps dans le collimateur de la droite qui gère le département. Aujourd’hui, un nouveau projet vise à « changer leur destination »,
au nom de la « mixité sociale » : une nouvelle Zone à
Défendre ?
Avec
les expulsions massives d’habitants de quartiers populaires pour libérer un
gigantesque espace pour des gratte-ciels de bureaux, l’établissement public
d’aménagement de La Défense (EPAD, devenu EPADESA) avait dû construire
davantage de logements publics aidés que de logements privés au prix du marché.
C’est pour répondre à ce besoin qu’autour de la réalisation du Parc André
Malraux, des architectes comme Emile Aillaud ou Jacques Kalisz, ont pensé des bâtiments
innovants pour des logements accessibles aux foyers populaires. Aujourd’hui, au
contraire, la proportion de logements privés, au prix du marché, nouvellement construits,
l’emporte de loin dans le périmètre de l’EPADESA (1). La vaste opération
immobilière en cours dans le quartier de Puteaux voisin – Les Bergères – en est
une des illustrations.
Dans les années
2002-2005, l’Office départemental HLM des Hauts-de-Seine (devenu Hauts-de-Seine
Habitat), propriétaire des deux tiers des dix- huit tours réalisées dans les
années soixante/soixante-dix par Emile Aillaud, ainsi que le maire de Puteaux,
relançaient l’offensive. Démolir les deux tours de grande hauteur, dont le coût
d’entretien était estimé trop élevé « pour des logements sociaux »,
en profitant de l’opération Seine-Arche pour proposer des relogements, selon les
amis de Sarkozy et de Balkany. Détruire le plus possible de ces foyers populaires,
impératif de « sécurité » pour la population de Puteaux, selon la
très réactionnaire Ceccaldi-Raynaud. Mais la municipalité communiste de
Nanterre de l’époque, dont l’Office HLM possède une partie de ce
patrimoine, dont une des deux tours de grande hauteur, refusa.
Luttes
et investissements publics.
38 étages, 180 logements, du F1 au F6 Une des deux tours jumelles de grande
hauteur.
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La cité des
tours Aillaud était à l’origine conçue pour loger une population diverse. A côté
de tours HLM, d’autres étaient ILM, ce qui permettait par exemple à des
enseignants, du quartier et de Nanterre, dont les revenus dépassaient le
« plafond HLM », d’habiter sur place. Mais au fur et à mesure de la
conquête par la droite de villes du département, et la destruction qui s’en est
suivie de logements à bas loyers pour faire place à des opérations de promotion
immobilière, des ménages à faibles revenus ont été relogés par l’office
départemental dans des tours Aillaud ILM : beaucoup ne parvenaient pas à
payer la quittance. De plus, les moyens mis par le département pour l’entretien
des bâtiments étaient réduits au minimum. Des luttes, soutenues notamment par
Nadine Garcia, alors conseillère départementale (PCF), ont abouti à empêcher
des expulsions, à la réalisation de travaux urgents, et la revendication
majoritaire des locataires, le déclassement en HLM, a été obtenue. Ne reste
donc plus aujourd’hui d’ILM qu’une tour de grande hauteur – au 19 allée des
Demoiselles d’Avignon -, gérée par l’office municipal. Face à la pression de la
demande de logement social, à la baisse des revenus de beaucoup de locataires,
certains demandent qu’elle soit elle aussi « déclassée » en HLM, ce
que refuse la Municipalité, au nom de la « mixité sociale ».
Des
investissements très importants ont été faits par la ville et la Région pour
réhabiliter les espaces extérieurs, avec le Département pour améliorer et
sécuriser les parkings souterrains. Des accords avec les bailleurs ont été
établis en ce qui concerne l’attribution des appartements. Quant à l’entretien
des bâtiments, le décalage, comme dans le passé, entre l’office municipal et
Hauts-de-Seine Habitat reste toutefois flagrant. Aujourd’hui, des
investissements importants sont nécessaires, un demi-siècle après le début de
la construction des tours, pour l’étanchéité des façades, des fenêtres, pour
mettre aux normes actuelles le coût énergétique... Toutefois, aucune étude n’a
été publiée pour comparer ces dépenses avec le coût que représenterait la
construction de leur équivalent (1607 logements sociaux plus spacieux que les
normes actuelles).
Réhabiliter
pour céder au privé ?
Fin 2016, c’est
le maire de Nanterre qui a rouvert le dossier des Tours Aillaud. Plus
exactement, selon les informations publiées, d’une partie de cette cité. Il est
question officiellement de cinq-cents appartements à libérer. Plus question de
toucher aux tours de grande hauteur : seraient concernées d’autres tours
gérées par Hauts-de-Seine Habitat, les plus proches du quartier d’affaires de
La Défense. Si leur démolition n’est pas tout à fait inenvisageable, malgré
leur inscription au patrimoine architectural, l’idée avancée actuellement
serait plutôt de changer leur destination. Ce pourrait devenir des hôtels, ce
pourrait même rester des logements d’habitation, mais pas sociaux ! Les projets pensés dans le cadre de l' ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine) subordonne en effet les aides financières pour réhabiliter les quartiers
sélectionnés, comme la partie sud du quartier du Parc à Nanterre, à la suppression de logements sociaux, au nom de la « mixité
sociale ». Quoi qu’il en soit, des travaux, demandés depuis longtemps par
les locataires (façades, nouvelles fenêtres étanches…) sont désormais annoncés,
et il ne serait sans doute pas concevable de les réserver aux bâtiments voués à
être privatisés.
Reste à
convaincre cinq cents locataires de déménager pour le nouveau quartier, en prochaine
construction, des Groues. La question du coût du loyer et des charges, plus
élevés dans les constructions récentes, se pose. Une aide spécifique de l’Etat
en ce domaine paraît relever des plus invraisemblables hypothèses, au moment où
ces subventions sont drastiquement baissées pour la construction, l’entretien
du patrimoine des logements sociaux, ainsi que l’aide personnalisée au logement.
On sait aussi que le Département, et la Région, gérés par la droite, refusent
désormais toute contribution en ce domaine pour les villes qui, à leurs yeux,
ont construit trop de logements sociaux, ce qui est le cas de Nanterre. Sans
pour autant bien sûr cesser de combattre farouchement toute mesure de nature à
contraindre vraiment leurs amis politiques à en construire dans des villes mises
à l’amende pour être en dessous des 25% de logements sociaux ! Le consensus affiché autour de la notion de
« mixité sociale » a en effet ses limites : celles des
« ghettos des riches ».
Un
défi, si près du quartier d’affaires…
Un site qui fait des envieux... |
On le sait, une
partie des nouvelles constructions à Nanterre sert à reloger des Nanterriens
venus de quartiers en réhabilitation. Cela pourra être sans doute encore le cas
dans le nouveau quartier des Groues. Mais dans un contexte où il y a un manque
de plusieurs centaines de milliers de logements sociaux réellement accessibles
aux catégories populaires dans la région parisienne, la priorité est-elle
vraiment d’en démolir ou d’en transformer en hôtel ? En ce qui concerne
les tours Aillaud, la population, comme celle du quartier, est caractérisée par
sa jeunesse. Il faut déjà plusieurs années à un jeune né à Nanterre pour
obtenir un logement, malgré les nombreuses constructions nouvelles, et on sait
que la politique austéritaire de restriction des moyens des collectivités
locales et des bailleurs publics va rendre de plus en plus difficile de
continuer à construire pour répondre au droit au logement pour tous. A cela
s’ajoute la menace que dans le cadre de la Métropole, les communes perdent leur
compétence en ce domaine.
Les habitants
des tours Aillaud veulent se faire entendre, ce qui ravive des amicales de
locataires qui étaient tombées un peu en sommeil. Affaire à suivre !
(1) L'article de Marcel Cornu, "Habiter La Défense", paru en 1982 dans le n° 189 de la revue URBANISME RF, constitue une remarquable analyse de la génèse des quartiers dans le périmètre de l'EPAD, dont le quartier du Parc à Nanterre.
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