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40 mars 2016, Place de la République, Paris

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Nanterre en colère

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En 2017, changeons la politique !

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mercredi 17 août 2016

FRUCTIDOR ?



Vous êtes en fructidor, an CCXXIV, quand vous lisez ces lignes. Ou si vous préférez, entre le 134 et le 155 mars 2016, lequel sera le jour d’ouverture de la fête de l’Humanité.

Fructidor : ainsi avaient nommé le dernier mois du calendrier révolutionnaire des savants et poètes utopistes, qui voulaient radicalement bousculer l’Histoire : leur An Un commençait le jour de la proclamation de la République, le 21 septembre 1792. 
Les paroles de Fabre d’Eglantine sonnent encore, avec toute leur audace, leur force et leur candeur, malgré l’usure des mots de l’époque :

" La régénération du peuple français, l'établissement de la République, ont entraîné nécessairement la réforme de l'ère vulgaire. Nous ne pouvions plus compter les années où les rois nous opprimaient, comme un temps où nous avions vécu.  Les préjugés du trône et de l'église, les mensonges de l'un et de l'autre, fouillaient chaque page du calendrier dont nous nous servions. Vous avez réformé ce calendrier, vous lui en avez substitué un autre, où le temps est mesuré par des calculs plus exacts et plus symétriques. "



La révolution fut cruelle pour Fabre d’Eglantine, impitoyable pour André Chénier, ingrate pour Romme.  N’empêche que leur temps nouveau dura tout de même douze ans et trois mois, de son adoption, le 14 vendémiaire an II, jusqu’au 1er janvier 1806. Et huit des onze créateurs du calendrier révolutionnaire et républicain survécurent au rétablissement du calendrier grégorien par Napoléon Bonaparte. 

Aucun bien sûr ne vit l’éphémère printemps de la Commune de Paris, ni ne lut les décrets ou les quelques numéros du Fils du PèreDuchesne illustré, qui redonnèrent vie à leur utopie le temps d’un floréal an LXXXIX. Et puis comment être sûr qu’ils auraient été du bon côté de la barricade dans cet assaut du ciel qui ne dépassa pas prairial ? Ce qui est sûr, c’est que le treizième fructidor n’eut jamais lieu. 






Mais comment imaginer que nous vivrions en cette fin d’été la saison où la saveur des fruits dépasse la promesse des fleurs ? Quant à penser que le 31 mars 2016, où après une grande manifestation, la naissance de Nuits debout, place de la République, aurait inauguré un printemps ininterrompu des peuples, il faudrait être des plus radicalement utopistes pour se risquer à en faire foi.
 
Il ne suffit pas de subvertir les mots ni d’en inventer de nouveaux, pas plus que d’imposer le décompte décimal des jours ni de décider de la date de naissance d’une période nouvelle de l’Histoire, pour que les temps changent. D’ailleurs, la révolution de notre planète était rebelle à la gouvernance par les nombres des intellectuels révolutionnaires de 1793 : douze fois trois décades ne font que trois-cent soixante jours. La solution : ajouter une sans-culottide de cinq ou six jours, pour dompter, presque, le cours du temps.

Vous vous demandez donc quelle mouche m’a piqué en ce mois finissant d’août-thermidor, si lourd d’une actualité brûlante et de lendemains d’avance désenchantés, à vagabonder ainsi dans les utopies de la République naissante ?  C’est que je cherchais une accroche pas banale, pour un banal article, quelques signes dans un bulletin communiste, à propos de la rentrée qui vient.

lithographie de Carl Henning Petrsen

Soudain, fructidor ? est venu, comme ça, gorgé de saveurs, du bonheur d’une récolte succulente, de l’amour d’une nature généreuse, de la récompense d’un travail fécond. Un titre interrogatif, comme un défi de possible malgré tout, comme une ironique amertume sur une planète dont on épuise les ressources vitales pour l’espèce humaine, une Terre sur laquelle depuis une semaine déjà notre civilisation vit à crédit.

Fructidor ? ça sonne comme un rappel qui bat, un appel à ne pas se laisser abattre.



Ceux qui malmènent le monde asservissent l’Humanité laborieuse dans leurs algorithmes, massacrent la politique dans leur société du spectacle, broient les mots dans leurs discours tordus. Ceux qui tiennent le pouvoir, d’Etat, de la Finance, des Médias, savent combien le contrôle du temps est important.  Vous êtes archaïques, le monde a changé, nous sommes en retard sur nos concurrents…Vite il faut des réformes. Pour qui, pour quoi ? pas de temps à perdre en palabres. La démocratie c’est voter tous les cinq ans, pour un président et sa majorité, entre temps quelques scrutins-intermèdes, mais pas de temps à perdre : les experts des cabinets et commissions font l’opinion en direct, et les sondages disent instantanément l’opinion. Leur marché des mots doit être aussi fulgurant que celui de la finance : l’immédiateté de l’émotion plutôt que la lenteur du raisonnement, persuader plus tôt que convaincre.  Les maîtres de la novlangue savent y négocier l’inflexion de leurs éléments de langage.  Le travail ? un coût à réduire ; les cotisations sociales ? des charges ; les pauvres ? des profiteurs ; le changement ? réformer pour mieux exploiter ; les armes de la guerre ? c’est bon pour l’économie, l’ordre, la sécurité et la paix…

lithographie de Paul Wunderlick

C’est à la racine qu’il faut changer de calendrier et de république, de mots et de discours, pour changer radicalement le cours des choses mortifères de notre temps. Mais voilà que  radicalisation est devenue le nom de la force du mal.  Se radicaliser ce serait se métamorphoser en assassin terroriste, ensorcelé par des discours intégristes, haineux et nihilistes aux accents religieux. Nos gouvernants, et d’autres qui à droite et à son extrême veulent prendre leur place, nous mobilisent pour une guerre contre des signes : vêtements ostentatoires, discours inciviles, faciès suspects. La laïcité, dans leur novlangue, c’est l’islamophobie. Penser autrement, ce serait être un traitre aux valeurs de la République, ou un idiot utile à l’ennemi. Pourquoi cette manipulation d’éréthisme ? Pour faire diversion, diviser, désigner des boucs émissaires, étrangers ou mauvais français d’origines douteuses. Remplacer dans les cerveaux l’image de la lutte de classe, réelle, par l’image, mythique, d’une identité en souffrance, à défendre contre « l’autre ». Mais pas seulement : la machine à déradicaliser est prête à faire passer à la trappe ceux qui échappent à d’autres discours-pièges, qui ne croient pas à la religion du néo-libéralisme, qui résistent et manifestent, qui élaborent des propositions radicalement hétérodoxes.

Fructidor ? c’est l’invocation du pouvoir des mots, l’espérance folle de conquérir la maîtrise des temps et des discours, l’appel à la rébellion contre la dictature des puissants.
Mais comment, en un feuillet, expliquer Fructidor ?  Et puis les mots du passé ne peuvent éclairer l’avenir que ,si ,aujourd’hui on résiste et on invente. Résister, inventer : voilà enfin trouvé un titre pour le papier qu’on attend de moi, qui pourrait donner quelque chose comme ça :



Résister, inventer


En cette rentrée, l’avenir est incertain. Le rapport des forces semble en faveur de ceux qui veulent que rien ne change, sinon en pire. Selon nos « gouvernants », il n’y aurait pas d’alternative possible à gauche.  Entre la droite « décomplexée » et son extrême, entre ceux qui, à la tête de l’Etat, trahissent les valeurs de la gauche, et la droite, leurs mots et leurs actes, au fond, se ressemblent. Rien à attendre alors de 2017, sinon reconduire les mêmes, ou encore une alternance, entre ceux qui sont au pouvoir, et ceux qui veulent prendre - ou reprendre – leur(s) place(s) ?
Libérer la parole et le pouvoir d’agir, c’est urgent.  Nous vivons un temps déraisonnable où le nouveau tardant à naître, surgissent des monstres. Nous vivons une période de crise, du local au mondial, où les choses ne peuvent plus rester ce qu’elles sont, ni redevenir ce qu’elles étaient. Au-delà de telles formules, au-delà des slogans, pour que les leçons du passé éclairent les questions d’avenir, il faut résister et inventer. La montée du mouvement social, des luttes de classes – inséparables des luttes pour l’égalité, les libertés et les droits des personnes humaines, sans racisme, sans discrimination – le printemps des Nuits debout, montrent que nombreux - et divers – sont celles et ceux qui sont disponibles pour bousculer l’oligarchie et ses institutions, pour raviver la démocratie.
La bataille engagée contre la loi de casse du code du travail est emblématique. Une nouvelle manifestation se prépare pour le 15 septembre. L’expertise collective du monde du travail, des citoyens, est plus forte que tous les mensonges des médias inféodés au monde de la finance. Donner encore plus de pouvoir pour faire travailler plus et gagner moins, pour licencier, à des patrons qui privilégient les gros actionnaires, les placements financiers, la mise en concurrence des salariés en France et dans le monde, ce serait bon pour l’emploi ? Comment croire de telles balivernes, quand le nombre de chômeurs continue de croitre, alors que des dizaines de milliards supplémentaires, ponctionnés dans des dépenses de services publics, leur ont été offerts, à ces patrons, depuis 2012, pour créer « un million d’emplois » ? Bien sûr qu’il est possible de faire autrement ! Elaborées avec des économistes, des syndicalistes, et pas seulement des communistes, des propositions existent, et inspirent déjà des luttes, pour une sécurité d’emploi et de formation, pour de réels pouvoirs des salariés, pour que l’argent soit investi dans le développement des capacités humaines, pour répondre au défi des nouvelles technologies, à l’urgence écologique.

 Investir dans la jeunesse, l’éducation, est déclaré prioritaire. Mais le système scolaire est en crise. Le manque de places dans des filières, la mise en concurrence des universités, le coût de la vie étudiante, renforcent la sélection sociale. Mais c’est à tous les niveaux que le système est sélectif et inégalitaire, au détriment des enfants des catégories populaires, que l’école de l’égalité est à construire.   Un appel à la grève est lancé pour le 8 septembre dans le second degré, contre la réforme des collèges et les conditions de sa mise en place, dénoncées comme une aggravation des inégalités sociales et géographiques, une réduction d’enseignements, une mise en concurrence renforcée d’établissements... De la maternelle au lycée, le manque de professeurs, la crise de leur recrutement, dus au manque d’attractivité du métier, aussi difficile que mal rémunéré, inquiètent et mobilisent. Les propositions de revalorisation des salaires, d’ouverture de pré-recrutements, avec rémunération pendant les études, afin de permettre à d’avantage d’étudiant-e-s de passer les concours, après cinq années d’études supérieures dans de bonnes conditions, ne sont pas prises en compte. Alors le privé marchand est à l’offensive. Ainsi, l’officine étatsunienne Teach for France, créature de grands groupes financiers, va envoyer, dans des collèges en REP,  des contractuels, après cinq semaines de stage, dans un école privée de gestion et de management, pour tout bagage pédagogique ! Nos « gouvernants » laissent introduire un tel cheval de Troie, et beaucoup d’autres dérives, dans le service public d’Education nationale, au mépris de la laïcité, dont ils prétendent par ailleurs être les défenseurs.

 C’est dans tous les domaines une politique soumise à la finance, aux desiderata du MEDEF et des forces réactionnaires qui asservissent les peuples d’Europe et du monde, c’est une politique de régressions dans tous les domaines, de reculs de civilisation, que Hollande, Valls et leurs ministres veulent faire passer de force. Ces coups portés à la démocratie, cet autoritarisme, font le jeu de la droite et du FN qui surenchérissent. C’est l’utilisation répétée du 49-3 face à un parlement et un opinion majoritairement hostiles, l’acharnement à faire condamner des syndicalistes, des associatifs ; c’est la violence policière contre des manifestants, contre des jeunes ciblés au faciès ; c’est la stigmatisation d’une partie de la population en raison de ses croyances religieuses ; c’est la banalisation de l’état d’urgence et la multiplication des lois, circulaires et arrêtés liberticides ; c’est la maltraitance des arrivants : demandeurs d’asile, migrants, hommes femmes et enfants …

Une telle politique n’a évidemment aucune efficacité pour empêcher que l’horreur des  attentats, qui font des milliers de victimes dans le monde, frappe le France. Pas plus que les guerres sans fins dans lesquelles notre pays est engagé. Au contraire, des groupes terroristes, comme daesh qui ne cache pas son objectif de jeter un pays comme le nôtre dans la guerre civile, y trouvent des arguments pour recruter de nouveaux assassins fanatisés ou adouber des criminels suicidaires. Pour la paix, pour lutter contre les terrorismes, ce sont, sur le plan international, des initiatives de l’ONU, prenant en compte l’urgence humanitaire, les droits des peuples, et la reconstruction de pays ravagés par des décennies de massacres, qui sont à construire. Dans notre pays, c’est une politique radicalement nouvelle, une république démocratique, solidaire et citoyenne, inclusive de toutes les composantes de la population, qui sont à inventer, pour revitaliser les valeurs communes de liberté, d’égalité et de fraternité.

Les échéances électorales nationales de 2017 occupent le « calendrier politique ». Mais,  d’aucun des aspects de la crise de civilisation que nous vivons, personne ne s’en sortira enfermé dans ses frontières. C’est à tous les niveaux - local, national, européen, mondial -, qu’il faut disputer et conquérir des pouvoirs, gagner des solidarités, des échanges équitables, des coopérations entre les peuples, construire du commun, pour inventer une mondialité nouvelle contre les logiques prédatrices et guerrières de la mondialisation capitaliste

C’est beaucoup trop long, bien sûr : alors j’ai beaucoup rogné depuis. N’en restera donc qu’un trognon, quand peut être vous le lirez imprimé, mais j’espère qu’il contiendra encore assez de pépins féconds pour que germe puis murisse l’espérance Fructidor ?
  
Ecrit entre le 27 et le 30 thermidor an CCXXIV, entre le 129 et le 133 mars 2016



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