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6h, lundi matin, 177
avenue Georges Clémenceau, à Nanterre.
Le froid est vif. La circulation est encore
calme. Les bus débarquent quelques piétons, travailleurs immigrés, qui se hâtent : peut-être des
hommes et des femmes de ménage, car il faut vite briquer les bureaux avant que
n’arrive la myriade des salariés. Le
jour est encore loin. Mais les façades de verre et d’acier reflètent les
lumières de la ville, et dans le clair-obscur des silhouettes emmitouflées apparaissent
sous des amoncellements de cartons et de couvertures.
D’autres, des retardataires, arrivent à vive allure. Un groupe se forme, en un vrombissement de voix, puis se défait. Ils sont déjà plus d’une centaine, les demandeurs d’asile, épuisés et dociles, à se mettre en file. Leur petite foule grossit toujours. Un vigile est le premier à les accueillir. Il ressemble à un adjudant, à crier ordres et consignes. Que faire d’autre qu’appeler ainsi à serrer les rangs ? Un chien, muselé, attaché, aboie dès qu’on l’’approche. Mais ce n’est qu’une apparence, son maître est l’homme de la situation : il parle plusieurs langues, son autorité est incontestée, il fait son travail le plus humainement possible.
D’autres, des retardataires, arrivent à vive allure. Un groupe se forme, en un vrombissement de voix, puis se défait. Ils sont déjà plus d’une centaine, les demandeurs d’asile, épuisés et dociles, à se mettre en file. Leur petite foule grossit toujours. Un vigile est le premier à les accueillir. Il ressemble à un adjudant, à crier ordres et consignes. Que faire d’autre qu’appeler ainsi à serrer les rangs ? Un chien, muselé, attaché, aboie dès qu’on l’’approche. Mais ce n’est qu’une apparence, son maître est l’homme de la situation : il parle plusieurs langues, son autorité est incontestée, il fait son travail le plus humainement possible.
6h30. C’est heureux,
pour l’image de la France, comme pour le moral de tous, que des membres du
collectif des soutiens soient arrivés.
C’est un renfort d’humanité bienvenu :
Jean-Yves et son équipe du Secours catholique, qui, comme tous les lundis,
distribue boissons chaudes et viennoiseries. Christine et Ghislaine,
conseillères municipales. ; Michel et Marie-Anne, du comité local du
MRAP ; Nicolas, du PG, et Clotilde, tous deux militants associatifs et du
Front-de-gauche. Une équipe de France 24, pilotée par un responsable de
l’association DOM’ASILE, fait des interviews, et des images respectueuses des
personnes : cela passera -t- il à l’antenne ?
Boissons et nourriture sont vites finies : les demandeurs d’asile sont maintenant près de deux cents. Les soutiens expérimentés initient les nouveaux venus aux arcanes kafkaïennes des parcours des demandeurs d’asile, dont certains, méfiance vaincue et barrières des langues surmontées tant bien que mal – on parle ici les langages de presque tous les pays où « le destin de notre siècle saigne » - participent aux discussions.
Boissons et nourriture sont vites finies : les demandeurs d’asile sont maintenant près de deux cents. Les soutiens expérimentés initient les nouveaux venus aux arcanes kafkaïennes des parcours des demandeurs d’asile, dont certains, méfiance vaincue et barrières des langues surmontées tant bien que mal – on parle ici les langages de presque tous les pays où « le destin de notre siècle saigne » - participent aux discussions.
Presque tous sont
« hébergés » dans les Hauts-de-Seine. Quelques- uns viennent d’un
département voisin pour tenter leur chance ici. Les préfectures, de toute
façon, délèguent leur mission d’Etat de premier accueil des demandeurs d’asile
à des associations ou à des entreprises comme FACEM management, et, c’est à
vérifier, on dit même que dans certains départements, c’est encore pire que
dans les Hauts-de-Seine. Un homme, à l’allure
élégante et à l’anglais impeccable, en témoigne : depuis plusieurs
semaines, il couche dehors à Paris. Si la plupart sont des hommes, quelques
femmes sont présentes.
Assises à l’écart et grelottantes sous leurs couvertures, une jeune femme et sa sœur de 17 ans ne disent pas un mot : ce n’est pas seulement parce que peu de personnes comprennent leur langue, c’est surtout qu’elles ont passé toute la nuit à attendre dans le froid, et à avoir peur. Le brave vigile accepte qu’elles aillent rejoindre deux mamans syriennes et leurs enfants, dans un sas entre deux portes, pour se réchauffer.
Assises à l’écart et grelottantes sous leurs couvertures, une jeune femme et sa sœur de 17 ans ne disent pas un mot : ce n’est pas seulement parce que peu de personnes comprennent leur langue, c’est surtout qu’elles ont passé toute la nuit à attendre dans le froid, et à avoir peur. Le brave vigile accepte qu’elles aillent rejoindre deux mamans syriennes et leurs enfants, dans un sas entre deux portes, pour se réchauffer.
Des dizaines de personnes ont, comme
elles, passé la nuit ici - quelqu’un affirme même qu’il attend depuis la veille à 14h –
l’ouverture des portes, à 9h 30 ! C’est qu’il faut être dans les
soixante-quinze premiers pour obtenir un numéro, précieux sésame qui donne le
droit de revenir dans la semaine pour être enfin « pré-accueilli »
(15 seulement le seront le jour même) ; puis pouvoir enfin avoir accès à
la préfecture ; et revenir encore pour être domicilié, pouvoir recevoir du
courrier, avoir une couverture santé ; pour percevoir la maigre indemnité,
à condition que l’OFII la verse vraiment, pour survivre jusqu’à ce que l’OFPRA, tranche
sur son sort, que les recours éventuels soient épuisés ; et même avec beaucoup de chance, obtenir une
des rares places d’hébergement en CADA…A quelques mètres, une autre file,
beaucoup moins nombreuse, s’est formée : des domiciliations en souffrance,
dont celles de personnes que COALLIA avait pré-accueillies. Depuis que cette
association a été recalée lors du nouvel « appel d’offre » de la
préfecture, il aurait été vraiment trop simple de faire suivre correctement le
dossier à FACEM !
7h30. La foule s’est
éclaircie : un bon nombre a compris qu’il repartirait, une fois encore,
sans rien, faute d’être dans les soixante-quinze premiers. Des soutiens sont sur le départ : bientôt l’heure d’aller bosser.
Derniers conciliabules : que faire ?
D’abord, que les choses
soient claires : le coup du numérus clausus à soixante- quinze pré-accueils
hebdomadaires, ce n’est pas FACEM qui l’a décidé, encore moins ses salariées,
jugées dévouées et compétentes, c’est la préfecture qui l’impose. Il faudrait
au moins donner un numéro, pour les semaines suivantes, à tous ceux qui ont
attendu, pour leur éviter de passer de nouvelles nuits à attendre : cette
proposition déjà faite par des soutiens serait dans les tuyaux pour des
discussions au plus haut niveau des instances départementales de la République.
Réponse espérée avant le dégel ? Pour les plus radicaux, c’est tout le
système qu’il faut remettre à plat, créer des emplois publics en nombre
suffisant pour des missions qui relèvent de l’Etat, dont celle de permettre aux
quelque 1800 demandeurs d’asile du 92 de déposer leurs dossiers en préfecture
dans les délais légaux.
Pourrait-on
abriter ceux qui attendent dans le froid et les intempéries ? Un revendication urgente ! Qui
pourrait croire qu’à deux kilomètres des fières tours de La Défense il serait
impossible de trouver une salle d’attente permettant à cent ou deux cents
personnes de patienter dans des conditions de salubrité, de sécurité et de
dignité normales ? Ou alors de construire au moins un abri provisoire sur
place ? Un chef d’entreprise matinal est passé en pestant contre les
salissures provoquées par les bivouacs improvisés : un allié de
circonstance ?
Autre action en
perspective : organiser un parrainage républicain, avec des duos
élu-e/militant-e d’association, pour ceux qui ont passé toutes les épreuves du
pré-accueil et de l’accès au « guichet unique », mais qui avaient eu
la malchance de se faire relever les empreintes digitales dans un autre pays
qu’ils ont traversé.
Les accords de Dublin, dont les organisations
et les élus qui soutiennent les demandeurs d’asile demandent l’abrogation, est
toujours en vigueur. Il leur est interdit de déposer une demande d’asile en
France ou tout autre Etat de la communauté européenne, pendant six mois, temps
laissé au premier pays d’entrée pour notifier son renoncement à les accueillir.
Pourtant, certains, présents et recensés par la préfecture du 92 sont toujours
dans l’attente depuis plus de sept mois ! Ils sont plus d’une vingtaine,
rien qu’au CASH de Nanterre. Ghislaine avait proposé le parrainage de ces
« dublinés », ce qui permettrait de porter haut cette question, et
aussi de garder le contact avec eux pour la suite des démarches pour obtenir le
statut de réfugié, ou, en cas d’échec, un autre titre de séjour. D’autres élus
de Nanterre seraient prêts à le faire. Une idée qui pourrait mobiliser sans doute
aussi des élus d’autres villes du département.
8h. Des salariées de
FACEM sont déjà arrivées. Les portes ouvriront-elles avant 9h30 ? c’est peu probable. Les
soutiens et les journalistes sont partis un à un. Le quartier s’est animé, le
jour n’est pas loin, il ne sera pas « couleur d’orange » (1), et le
froid m’a vaincu. Je salue le responsable de DOM’ASILE, toujours en discussion
avec quelques futurs réfugiés. Je le leur souhaite en effet de tout cœur, à
tous, d’obtenir le statut de réfugié, la carte de 10 ans. Je me demande comment ils font, pour tenir, en
attendant, tous ces jours, toutes ces nuits, dans ce climat détestable qui
sévit ici !
Rendez-vous lundi 25 janvier, au petit matin,
177 avenue Georges Clémenceau, à Nanterre.
(1)
Je ne
sais pas vraiment pourquoi, j’avais sans cesse en tête ce poème d’Aragon, vous
savez, la chanson de Ferrat, Un jour, un jour viendra, couleur d’orange…On se
réchauffe comme on peut pour éviter le rhume de cerveau.
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