Pour autant, l’heure n’est pas à la résignation, après le vote par la majorité UMP de l’Assemblée nationale et du Sénat du projet de loi de casse des retraites, que Nicolas Sarkozy et ses ministres s’obstinent à vouloir imposer, malgré l’opposition majoritaire du pays. Sur le terrain, l’état d’esprit n’est pas tout à fait celui qu’affichaient ces jours-ci les états-majors de la droite, des médias (à l’exception de l’Humanité), ou, côté PS, François Hollande, pressés de tourner la page et de donner rendez-vous en 2012. Au contraire, en pleins congés scolaires, la réussite de la journée de grèves et de manifestations du 28 octobre a montré la possible vivacité d’un mouvement social déterminé à s’inscrire dans la durée. Bien sûr, les salariés n’ont pas les moyens de se payer des jours de grève reconduite sans fin, alors on invente des formes nouvelles de lutte, et l’imagination en ce domaine n’est pas réservée aux inquiétants réactionnaires des Tea-party d’outre Atlantique.
De multiples AG, manifs, débats, diffusions de tracts et rassemblements sont organisés à Nanterre, dans le département et dans le pays depuis mardi. Parmi les plus spectaculaires, la manif-tintamarre d’hier matin à Neuilly devant la propriété de Liliane Bettencourt, organisée par le collectif interpro des Hauts-de-Seine, et le rassemblement d’hier midi devant le siège parisien du MEDEF, organisé par la CGT et la FSU. De telles initiatives vont sans doute encore se multiplier, se diversifier. Mais tous les acteurs du mouvement social sont unanimes pour mobiliser des millions de citoyens et de salariés pour que samedi 6 novembre, la huitième manifestation confirme que la lutte trouve un nouveau souffle.
Ce n’est qu’un début
L’énorme mensonge de l’UMP et du MEDEF, se présentant comme les sauveurs de la retraite par répartition, n’a même pas tenu jusqu’à la promulgation de la loi, que Sarkozy espère pouvoir commettre le 15 novembre. En effet, devant l’évidence que le recul de l’âge légal d’ouverture du droit à la retraite ne résout en rien la question de son financement, c’est maintenant l’échéance de 2013 qui est avancée pour porter l’estocade, avec des retraites par points, à la carte, ou autres machines à détruire complètement le système solidaire des retraites par répartition, et à le remplacer par une capitalisation individuelle qui livrerait salariés et retraités aux appétits et aux aléas des marchés financiers. Le rapport des forces politiques ne permet guère de croire que la défaite de Sarkozy en 2012 suffirait pour que le droit à la retraite à taux plein à soixante ans soit rétabli, et financé en faisant par exemple contribuer les revenus financiers et spéculatifs, comme ne cessent de le proposer les élu-e-s et militant-e-s du Front de gauche. Les propositions du PS, s’inscrivant dans la prétendue fatalité de l’allongement de la durée des cotisations, de la sortie partielle du système par répartition, expliquent que plus les acteurs de la lutte approfondissent leur expertise du dossier, plus ils sont convaincus que c’est maintenant, sans attendre 2012, que se joue l’avenir. Et pas seulement celui des retraites. L’entrée de la jeunesse lycéenne et étudiante dans la lutte s’est faite essentiellement sur la question de l’emploi : les jeunes au chômage, les vieux dans la misère, on n’en veut pas de cette société là ! Certes, d’éminents économistes ont été mobilisés pour tenter de discréditer la prétendue naïveté de tels mots d’ordre, mais leur démonstration, que ce sont les politiques de relance économique et de création d’emplois qui assurent du travail pour les jeunes et les séniors, n’a guère rassuré les enfants de travailleurs sur l’avenir que leur réserve la politique réelle de Sarkozy et du MEDEF. Des jeunes manifestants, comme de plus anciens, ont bien mis l’accent sur l’essentiel, le lien entre le droit à l’emploi et le droit à la retraite, donnant une vigueur nouvelle aux revendications syndicales et aux propositions politiques les plus radicalement « anticapitalistes » : pour une sécurité de revenus, d’emploi et de formation tout au long de la vie. Au-delà du retrait du projet gouvernemental, monte l’exigence d’une tout autre réforme des retraites, avec l’exigence de prise en compte des années d’études, de formation, de stages, de recherche d’emploi, dès 18 ans. L’ouverture de négociations sur l’emploi des jeunes, voulue par la CFDT, ne paraît donc pas à l’heure actuelle un moyen très sûr de se débarrasser du dossier des retraites pour la centrale syndicale dont les propositions sont parmi les plus proches de celles du PS.
Le travail des séniors est aussi une question économique et sociale des plus sensibles. D’abord parce que la plupart d’entre eux se trouvant sans emplois bien avant soixante ans, il est évident que le recul de deux ans de l’âge légal du droit à la retraite n’allongerait pas notablement leur vie de salarié, mais baisserait leurs pensions grevées par la décote, et accroîtrait la durée de la prise en charge de nombre d’entre eux par les organismes de financement du chômage et des minima sociaux. Ensuite, parce qu’avec le nombre grandissant de retraité-e-s en bonne santé et actifs dans le cadre familial, associatif, politique, culturel…la distinction entre le travail socialement utile, gratuit et gratifiant, l’activité humainement épanouissante, et l’emploi salarié, le travail exploité, le travail-aliénation, le travail-souffrance, ce n’est plus l’apanage d’héritiers de la pensée de Marx. Les retraité-e-s constituent un coût à réduire ; puisque l’espérance de vie s’allonge, il faut allonger le nombre des années d’aliénation de l’individu à l’emploi salarié : ces idées, si elles fondent encore l’apparent bon sens de discours politiques, de la droite et du PS, sont de plus en plus contestées. Priver les individus des meilleures années de leur retraite, en revenant sur le progrès de civilisation qui permet en principe dès soixante ans d’avoir un salaire continué sans la contrainte d’être subordonné-e à un employeur, ce serait en fait très coûteux pour le pays, selon un nombre non négligeable de sociologues et d’économistes.
Les luttes pour l’égalité entre les hommes et les femmes sont revivifiées. Parce que les femmes ont aujourd’hui déjà des salaires et des retraites inférieurs à ceux des hommes, et qu’elles seraient encore les plus touchées par le recul de l’âge donnant droit à pension complète, en raison de carrières souvent incomplètes du fait de l’organisation patriarcale de la famille et de la société. Parce qu’elles sont les premières victimes des réductions d’emplois et de services publics; par exemple le droit à l’avortement est remis en cause par les fermetures de centres IVG dans le cadre de la réforme hôpital-santé.
La manifestation pour les droits des femmes partira samedi de la place d’Italie pour rejoindre à la Bastille la manifestation parisienne pour les retraites, qui partira, elle, de la place de la République à 14h30 en direction de Nation.
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