Point de vue sur les réformes actuelles de l'école, par Brigitte Riéra, directrice de l'IUFM Antony (candidate Front de gauche en Ile-de- France)
« Les valeurs du service public d’éducation sont les miennes depuis quarante ans. Les résultats des enquêtes européennes confortent mes convictions de la nécessité, pour toute société, d’amener les niveaux les plus faibles à la formation la plus élevée. C’est ce qui résiste le mieux aux crises. Et voilà que, ces dernières années, les représentants de l’Etat eux-mêmes discréditent en profondeur le système éducatif et sèment la discorde chez ses agents. Ces cadres de l’Education Nationale suivent, en nombre, des directives iniques qui vont à l’encontre des rapports de l’inspection générale, qui exacerbent l’effet d’annonce, stérilisent l’activité enseignante et instaurent l’incohérence dans un paysage éducatif certes complexe mais avec ses règles et ses régulations possibles. En conséquence, l’encadrement ne joue plus le rôle d’avertisseur de crise qu’il a eu longtemps. Je vis très mal ce lâchage de la part des instances de l’Education Nationale auxquels je faisais confiance, comme beaucoup de citoyens, beaucoup de parents. Dans la liste du Front de gauche, j’ai rencontré des citoyens qui croient dans ces mêmes valeurs liées à la République. Je dirais que c’est par sens civique que je suis candidate, pour défendre les institutions et l’accès par tous à l’éducation et à la culture quand les responsables eux-mêmes sont démunis, quand les établissements privés bénéficient de soutiens financiers qui les rendent très attractifs dans la carte scolaire.
Ce qui est détruit actuellement est colossal. Nous avons connu avec les deux ministres précédents des attaques en règle de l’école soumise à des injonctions contradictoires, dans les pratiques d’apprentissage de la lecture, le statut des enseignants, les missions et définition de leur service, sans que ces questions du cœur de métier n’aient été validées par les instances sérieuses, expertes qui suivent depuis longtemps l’évolution des publics et de la société française…Jusqu’au Haut Conseil de l’Education qui finit par être menacé…Ce gouvernement a besoin de faire table rase de toute l’expérience antérieure pour piloter le système par l’idéologie la plus butée qui soit. Les anciens recteurs, ces excellents conseillers de l’Etat, avouent eux-mêmes qu’ils se réfugient dans des fondations à but éducatif pour mettre leurs talents au service de la communauté.
Sur le territoire national règne une grande disparité entre les académies. Les enjeux politiques locaux, départementaux ou régionaux, entraînent des luttes de pouvoir dans lesquelles les stratégies politiques en matière de territoire et de patrimoine immobilier prennent le pas sur les besoins éducatifs et sur l’exigence en formation ; si bien que tous les IUFM ne s’en sortiront pas de la même manière. Certains seront intégrés à l’université et partageront ses projets, d’autres disparaîtront ou se transformeront en filière de formation pour adultes. Tout cela aurait pu se passer en bonne intelligence, sans monter les professionnels les uns contre les autres mais l’obsession du ministère d’aller vite et le refus de cadrage national hypothèquent considérablement les chances de succès des mesures prises. Les universités peuvent s’appuyer sur leur autonomie pour construire des parcours nouveaux et des formations professionnalisantes mais elles ne peuvent le faire à marche forcée car le passage à la loi de responsabilités élargies les amène à revoir non seulement le statut des enseignants chercheurs mais la place de la formation et de la recherche dans l’évaluation de leurs résultats.
En refusant de reporter d’un an l’application complète de la réforme de la formation des enseignants et la mastérisation, le gouvernement fait les plus mauvais choix : le concours de recrutement est placé en début de deuxième année de master, ce qui ne permet ni de former correctement un enseignant, ni de réorienter un étudiant qui a échoué au concours. Le critère de l’excellence disciplinaire l’a emporté sur la nécessaire polyvalence de la formation des enseignants, notamment en matière de didactique des apprentissages, de connaissance de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, de savoir-faire pédagogique et de repères sociologiques. Des pans entiers de ce qui constitue la professionnalité d’un enseignant ont été perdus. On le mesure quand on relit le dernier rapport important en ligne sur le site du ministère de l’Education Nationale, celui de la commission Pochard en janvier 2008, le Livre vert sur l’évolution du métier d’enseignant. Les mesures prises pour la réforme actuelle menée au pas de course piochent dans ce rapport tout ce qui va dans le sens d’une économie de moyens à grande échelle. Mais les préconisations essentielles ont été abandonnées ; par exemple le principe de l’entrée progressive dans le métier au nom de la formation professionnelle par l’alternance (p.180). En conclusion, le rapport affirmait que les enseignants manquent d’une préparation suffisante au métier au moment où la classe leur est donnée en responsabilité. Les IUFM ne préparaient pas assez au métier, disait-on. Finalement, on supprime complètement toute formation avant la mise en responsabilité ! Au lieu d’une entrée progressive, on a, dès la promotion de cette année, des étudiants qui vont assurer en septembre 2010 un service à temps complet pendant deux tiers de l’année scolaire en ayant pris une classe en responsabilité une ou deux semaines seulement, pour certains, rien pour les autres.
Et le passage en force de réformes qui désarticulent le tissu social et les réseaux de formation existants se drape derrière le cynisme insupportable de déclarations contraires à la réalité ! Des enseignants recrutés à un niveau master certes, mais qui retardent de deux ans leur rémunération et qui attendront pour être titularisés. De quelque côté que l’on se tourne, on constate une régression considérable en un demi-siècle que ce soit dans l’élévation des faibles niveaux, dans la réflexion sur les grandes écoles ou dans la préparation au métier d’enseignant. Au point même que l’on en vient à penser que si le gouvernement n’a pas souhaité faire disparaître le nom des IUFM, c’est pour pouvoir disposer d’un bouc émissaire connu qui continuerait, longtemps après avoir disparu, à attirer les foudres des électeurs mécontents…La stratégie de prudence de Valérie Pécresse et de Luc Chatel consiste à légiférer de main de fer ou en aveugle, quitte à laisser jouer aux présidents d’université au sein de leur conférence (CPU) le rôle de la masse pensante au travail qui, s’offusquant des directives prises, assure que des régulations pourront se faire en cours de route. De fait, c’est bien le seul espace de travail et la seule lueur d’espoir qu’il reste aux professionnels de l’éducation et de la formation.
Au lieu de ce massacre organisé qui laisse la plupart au bord de la route, des regroupements peuvent s’opérer en Ile-de-France notamment, entre les IUFM et leurs universités d’intégration ; il le faudra forcément quand il s’agira de remettre à plat la carte des formations dans cette région où, on le sait, l’offre reste dispersée et incohérente. Un cadrage plus ferme et l’obligation de stages dans les parcours préparant aux métiers de l’enseignement vont s’imposer d’eux-mêmes lorsque la pagaille du terrain remontera via les parents d’élèves et les écoles. Partout en Europe, le parcours pour devenir enseignant se professionnalise, sauf en France où les universités sont loin d’avoir conçu, mis en œuvre et réussi le maillage de la recherche et de la professionnalisation. Les pôles de recherche en éducation pourraient fédérer leurs objectifs dans une perspective européenne sous l’impulsion de l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP). Car si un renouvellement s’impose du système éducatif, il s’agit de construire un modèle éducatif en phase avec le monde d’aujourd’hui où les périodes de formation alternent, à tous les âges de la vie, avec des périodes de latence ou de travail : il s’agit d’adapter la formation à l’humain et non l’inverse, de s’appuyer sur les ressources technologiques disponibles et d’ouvrir davantage de cursus de seconde chance.
L’idée que chacun a la possibilité de reprendre des études où il les a laissées, sans être stigmatisé, en bénéficiant d’aides pour son parcours à l’université, une université ouverte à tous et pas seulement aux jeunes, cette idée s’oppose radicalement aux vieilles lunes que l’on nous vend aujourd’hui : le mythe d’un enseignant qui parle comme un livre dès qu’on le plonge dans une classe, l’illusion d’une recherche liée à l’excellence et non au progrès humain, le leurre d’être dirigé par des ministres efficaces et non des esprits éclairés. »
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