
La création de Big Shoot, de Koffi Kwahulé, avec une mise en jeu de Michèle Guigon, est l'occasion pour Denis Lavant d'exécuter une prouesse remarquable. Monstrueux héautontimotouménos (1), c'est-à-dire bourreau de lui-même, le personnage, ou les "deux hommes", qu'il incarne seul en scène , ne nous laisse aucun répit. Tour à tour et à la fois sale brute de flic, inquisiteur sadique, bourreau qui fait durer le plaisir, psychopathe affabulateur et masochiste, il crée sa victime, la façonne à l'image de ses pulsions, sales et criminelles. D'entrée, Dieu, "Lord" dont il chante "en anglais des Etats Unis" les paroles qui maudissent Caïn, annonce l'éternité et l'universalité du crime fratricide. L'auteur a mis en exergue de sa pièce (publiée aux éditions théâtrales) une citation tirée de Le Bourreau, œuvre de l'écrivain suédois Pär Lagerkvist, prix Nobel de littérature 1951, hanté par la question du bien et du mal : "J'aspire au moment où vous serez effacés de la terre et où mon bras pourra enfin retomber. Aucune voix rauque ne se lèvera plus vers moi, je serai seul et en regardant autour de moi je comprendrai que tout est accompli".
Aux spectateurs, "venus de loin" pour assister à la mise à mort, de donner au final du sens au "Big Shoot".
Koffi Kwahulé est un auteur majeur du théâtre contemporain , souvent lu et joué d'Abidjan à Paris , en passant par le festival d'Avignon. Big Shoot a été écrite en résidence à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon et mise en lecture au festival des Météores de Douai en mars 2000.
Le Lavoir Moderne Parisien, au cœur du quartier de la Goutte d'Or, est un lieu qui n'est pas sans rappeler le off d'Avignon de l'après soixante-huit, ses audaces créatrices et ses rencontres des cultures. Les murs de briques usées , les modestes moyens techniques, deux projecteurs et une chaise pliante, suffisent à y faire des merveilles. Denis Lavant nous y donne un grand moment de théâtre.
(1) Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal
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